Didius Julianus, dont la famille était originaire de la province d'Afrique (Tunisie actuelle), était apparenté au célèbre jurisconsulte Salvius Julianus. En effet, le rédacteur de l'Édit perpétuel était probablement son grand-oncle.
Le futur empereur fut élevé dans la maison de la mère de Marc Aurèle. Il aurait pu plus mal tomber !
En tout cas, grâce à d'aussi hautes relations, sa carrière s'assimila à un parcours sans faute. Il serait fastidieux de relater ici en détail les étapes de "l'irrésistible ascension" de Didius Julianus. Notons seulement que dans les années 170, alors qu'il gouvernait la Belgique au nom de son protecteur, l'empereur Marc Aurèle, il eut à repousser une attaque des Barbares d'outre-Rhin. Ne disposant pas de troupes régulières, il dut "tirer son plan" avec des milices locales levées à la hâte. Il paraît que Didius Julianus et ses soldats de raccroc s'en sortirent fort honorablement : les Chauques furent renvoyés dans les forêts germaniques.
Cette fermeté tendrait à prouver que le futur empereur n'était dénué ni de qualités d'organisateur ni de certains talents militaires. Pourtant, les historiens antiques (Hérodien, Dion Cassius) nous présentent ce personnage sous un jour très peu favorable. Tous, sauf l'auteur anonyme de l'Histoire Auguste (fin du IVe siècle), ne voient en lui qu'un goinfre, aussi gonflé d'ambition que de boustifaille !
Cependant, même si ce fut le cas, nous ne pouvons que constater que ces hypothétiques défauts ne handicapèrent guère sa carrière. Didius Julianus poursuivit son ascension sous le règne de Marc Aurèle. Cela se gâta un peu sous Commode : le fils de l'empereur philosophe ne pouvait pas voir en peinture les amis de feu son père, ces moralisateurs qui avaient toujours un petit air conspirateur !
Mais la disgrâce de Didius Julianus fut de courte durée. En 190, il devint proconsul d'Afrique (du Nord), région d'origine de sa famille.
À la mort de Pertinax, assassiné par les Prétoriens, Didius Julianus fut reconnu empereur par cette même garde prétorienne puis par le Sénat.
D'après les historiens qui lui sont hostiles, il aurait littéralement acheté l'Empire. Les Prétoriens, retranchés dans leurs casernes, avaient mis le trône des Césars aux enchères : ils l'accorderaient au plus offrant ! C'est l'offre, monstrueusement colossale, du richissime sénateur Didius Julianus qui l'emporta.
L'auteur de l'Histoire Auguste, lui, présente les choses un peu différemment : Julianus n'aurait accepté le pouvoir qu'à la requête de deux tribuns soucieux d'éviter l'élévation d'un autre candidat, le préfet de la Ville.
Mais quoi qu'il en soit et de quelque façon que l'on joue sur les mots, le résultat fut identique : l'empire avait été accordé au plus offrant et les Prétoriens étaient devenus les principaux (pour ne pas dire les seuls) électeurs du souverain romain.
C'était là une situation que les armées des provinces ne pouvaient tolérer.
Oh bien sûr ! ce n'était pas le fait même du pronunciamiento qui les hérissait : toutes les lois sont faites pour être violées et les règlements pour être contournés. Non, ce qui les écœurait, c'était que les soldats de la capitale, ces militaires d'opérette, ces Romains décadents, avaient été les seuls bénéficiaires des largesses du nouvel empereur. Et ÇA, c'était vraiment le comble ! C'étaient eux, troufions de province, qui s'échinaient à maintenir loin de Rome des Barbares assoiffés de sang ! C'étaient eux qui combattaient toute leur vie pour une solde de misère ! Et finalement c'étaient ces Prétoriens, ces milites gloriosi, ces fanfarons, perpétuels bénéficiaires de la dolce vita romaine, qui, en nommant illégalement un empereur, amassaient en une heure plus d'or qu'ils n'en verraient jamais… Il y avait vraiment de quoi râler sec !
Et les légions de province de s'empresser de couronner leur commandant en chef.
Clodius Albinus fut acclamé en Grande-Bretagne, Pescennius Niger en Syrie et, surtout, Septime Sévère en Illyrie (Croatie).
Niger et Clodius étaient loin de Rome.
Pas Septime Sévère !
À la tête de ses troupes, il fonça sur la Ville à marche forcées. Au fur et à mesure qu'il avançait, toutes les villes se ralliaient à lui et toutes les légions abandonnaient le parti de Didius Julianus.
L'empereur de Rome se retrouvait presque seul alors que les soldats de Septime Sévère ne se trouvaient plus qu'à quelques lieues de la capitale. Ravalant tout orgueil, il se rendit, en désespoir de cause, à la caserne des Prétoriens. Il supplia ses "électeurs" d'au moins tenter quelque chose pour entraver l'avance de l'usurpateur. Mais ces soldats étaient si "dépravés par le luxe de la vie citadine, étaient si complètement dégoûtés de la pratique militaire" (Hist. Aug., Did. Jul. V, 9) qu'ils ne bougèrent pas le petit doigt pour le souverain qui avait pourtant si abondamment garni leurs escarcelles.
Didius Julianus, condamné à mort par le Sénat, fut exécuté alors que les troupes de Septime Sévère pénétraient dans la capitale.
Il n'avait régné que 66 jours (du 28 mars au 2 juin 193).